Article 84 : Les films Détective Conan sont-ils canons ?

Bonjour à tous et à toutes, Conan-patriotes.
Mois après mois, année après année, la grande question que vous nous posez est celle du statut du canon dans Détective Conan. Nous essaierons donc aujourd'hui de mettre le clair dans cette question en apportant des éléments de réponse et exemples.

Si la question du canon se pose dans Détective Conan, c'est parce que l'univers de la série est extrêmement vaste. A partir du manga Conan, une série télévisée de près de 900 épisodes, une série parallèle, plus de vingt films, une dizaine d'OAV, des téléfilms, des jeux-vidéos et bien plus encore ont été créés. Malgré tout cela, vous avez sans doute entendu un très grand nombre de fois dans le fandom, « Les films ne sont pas canon ! », ou « Tout ce qui n’est pas dans le manga ne doit pas être pris en compte ». Tout ce qui est hors-manga doit-il être considéré comme ne faisant partie de la continuité ? Si non, qu'est-ce qui peut l'être et pourquoi ?
On commencera par parler de l’histoire du canon dans Détective Conan, puis on expliquera que rien en-dehors du manga n’est, de base, canon. Cependant, le canon et le non-canon s’imbriquent de plus en plus.

I – L’histoire du canon

Au début de la série, un grand flou régnait sur la question de la canonicité des œuvres hors-manga de Détective Conan. Comme la trame n’était pas très étoffée, et que les œuvres non-canon n’étaient pas légion, tout le monde se fichait un peu de savoir si x chose était canon ou ne l’était pas.
Cependant, l’année de départ de cette question du canon fut la création du dessin animé Détective Conan, en 1996. Certes, il adaptait en majeure partie le manga, mais certaines affaires, les « fillers », n’en provenaient pas. Elles étaient scénarisées par des scénaristes externes, parfois excellents (Kôchi et Miyashita en tête), parfois moins bons. En se rendant compte que les fillers n’avaient aucune incidence sur l’histoire du manga, les spectateurs japonais conclurent qu’ils étaient en-dehors. Après tout, les fillers étaient bien appelés, en japonais, « aniori » (contraction de anime originals, à savoir, des exclu de l’animé).


Seulement, arriva dans la série un nouveau personnage, Ai Haibara. Et contrairement aux autres personnages de la trame de Détective Conan, elle commença à apparaître dans des fillers, à commencer par l’épisode 135. Mais, voyant que, dans ses fillers, elle était cantonnée à un petit rôle pour éviter une quelconque contradiction avec le manga, on conclut qu’une fois de plus, les fillers étaient bien pensés comme non-canons.

Les spectateurs se sont vite rendu compte que malgré l'apparence d'un personnage de la trame, les fillers avec Haibara n'étaient pas canons


Cependant, la première chose qui fit vaciller cette croyance fut le film 1. Alors que les fillers Conan étaient tous des histoires parallèles qui n’avaient aucune conséquence sur le manga, le film 1 se présentait comme faisant partie du manga, par son imbrication avec la trame principale : Shinichi et Ran se « « rencontraient » », et le protagoniste fêtait son anniversaire. Le doute était à jamais semé, et ce malgré quelques démentis ambigus de l’auteur.

L’année suivante, le film 2, « La Quatorzième Cible », sortit dans les salles obscures japonaises. Même si le film était moins important en termes de trame que le film précédent (pas d’évènement important pour quelque personnage que ce soit), le film nous en apprenait plus sur la raison pour laquelle Kogorô et Eri étaient divorcés. Voilà qui en rajoutait une couche.

Si on regarde bien, tous les premiers films laissèrent le flou s’installer sur la question de la canonicité : dans le film 3, Ran commençait à soupçonner Conan à cause de sa date de naissance. Cependant, la question ne fut pas résolue à la fin du film, et les fans comprirent que les films Détective Conan, ne pouvant s’immiscer dans le canon de la série, ne feraient qu’allumer des mèches pour immédiatement après les mouiller.
Ainsi, dans le film 4, Conan/Shinichi avoue son amour à Ran ; mais à la fin du film, Ran dit à Conan qu’elle sait bien que c’était juste pour la faire sortir de son amnésie qu’il avait dit ça, en citant au passage quelque chose qu'Eri avait dit plus tôt. 
Cette scène n’est pas une simple scène de dialogue entre les deux personnages, c’est une scène de double-énonciation, à savoir que le dialogue n’est pas là pour faire avancer l’histoire, Ran ne s'adresse pas à Conan, mais aux spectateurs : cette scène est là pour que les spectateurs intègrent bien que dans le manga, Ran ne saura pas que Conan l’aime. Une manière rapide et efficace de faire une scène épique, pour immédiatement après l’ « annuler » aux yeux des spectateurs.

Scène de fin du film 4, où les scénaristes, à travers la réplique de Ran, font comprendre aux spectateurs que tout élément important qui aurait un impact sur la trame serait annulé dès la fin du film

Le film 5 avait un scénario d’orfèvre, grâce à son scénariste, le mythique Kazunari Kôchi ; il avait ainsi fait en sorte que l’Organisation apparaisse et qu’il y ait une histoire intéressante autour d’Haibara et de sa sœur, sans qu’il n’y ait aucun impact sur la série. Qui plus est, dernier élément qu’il fallait aux spectateurs japonais pour comprendre définitivement que les films et le manga n’étaient pas liés et n’avaient aucune incidence sur l’un et sur l’autre malgré le film 1, le film 5 ne faisait aucune référence à aucun élément récent de la série (pas de Shûchi Akai, pas de James Black, pas de Jodie Saintemillion…).
Cependant, si le film 5 ne faisait aucune référence à l’actualité de la série, il faisait une référence à… un autre film, le film 1, à travers le personnage de Teiji Moriya.

Ainsi, nous devons remarquer que même si on a depuis bien longtemps considéré les films comme non-canons, les films Détective Conan sont, depuis le début, bien moins déconnectés du canon de Détective Conan qu’on ne le croirait. Loin d’être totalement imperméables, les deux mondes se sont, de nombreuses fois, touchés.
Cela n’a cependant pas empêché une grande partie de la communauté de penser pendant des années que les deux mondes étaient tout à fait séparés, et que jamais rien ne les rapprocherait.

Cependant, en 2014, fut annoncé le 18ème long métrage de Détective Conan, « Le Sniper Dimensionnel ». A la grande surprise de chacun, Jodie et James Black allaient apparaître. Cela n’était pas le plus surprenant cependant, car ils n’étaient plus au centre de l’action à ce moment-là du manga. Ce qui était plus surprenant, c’était l’apparition de Masumi Sera et de Subaru Okiya. Qui plus est, à la fin du film, on avait la confirmation que Subaru était Shûichi Akai, chose qui ne sera révélée que quelques semaines plus tard dans le manga.
Ceci troubla la certitude que chacun s’était faite au sujet du canon dans Conan. Masumi Sera, personnage qui apparaissait beaucoup à l’époque et qui n’avait pas le droit d’apparaître dans les fillers ? Subaru Okiya, qui était un des points brûlants de l’intrigue en cours, et qui allait être empêtré dans Scarlet Return un mois plus tard ? C’était du jamais vu dans la série, et la promotion du film avait joué sur cela.


La promo du film 18 a beaucoupé joué, parfois exagérément, sur la proximité entre le film et le manga


Mais même si des personnages de la trame apparaissaient, le film n’avait aucun impact sur elle, et on ne vit aucune référence au film dans le manga. La révélation de l’identité d’Akai avait certes eu lieu en tout premier lieu dans le film, on ré-apprit son identité dans le manga. 
Le film 18 n’était donc qu’un tout premier pas des éditeurs vers un rapprochement progressif des films avec le manga.

Le film 19 vint décevoir les attentes de ceux qui pensaient que le film continuerait à relier manga et animé.
Le film 20 cependant, en l’honneur des vingt ans des films Détective Conan, fit apparaître des personnages importants à la trame : non seulement Akai, mais aussi Rei (en tant qu’agent de la police secrète, et non pas juste en tant que membre de l’Organisation), Gin et Vermouth.
C’était ainsi la première fois que l’on entendait la voix de Rum, qui apparaissait dans le film bien avant qu’il n’apparaisse à découvert dans le manga—cela avait déjà été fait avec le film 18, dans lequel apparaissait brièvement Mary, la gamine de chez Masumi.
Ce film ne venait donc qu’accentuer le mouvement déjà lancé par le film 18.

L’année suivante, en 2017, sortit le film 21. Celui-ci continue ce qui a été lancé par le film 18, mais en l’amplifiant. Alors que le film 18 avait donné une information capitale au sujet du manga, mais qui n’avait pas eu de répercussion sur le manga, le film 21 a une incidence directe sur le manga : lors du mini-arc de Kyôto, disponible ici, Ran rencontre pour la deuxième fois le personnage introduit dans le film 21, Momiji Ôoka. Celles-ci se reconnaissent et conversent, et on retrouve le majordome Iori. Tout est parfait, à cela près que Ran dit qu’elle a rencontré Momiji a Kyôto, alors qu’elles ne se sont rencontrées qu’à Ôsaka dans le film.
Il y a donc deux possibilités : ou Aoyama a fait exprès de changer le lieu de rencontre afin de dire discrètement aux lecteurs que le film n’était pas canon, ou c’est une erreur de la part de l’auteur qui, de toute façon, n’a pas eu le temps de regarder le film.
Quoiqu’il en soit, les évènements du film 21 expliquent le manga, et non pas l’inverse. C’est une première dans la série, et, comme nous le verrons, cela a des conséquences particulières.

Comme on peut d’ores et déjà le voir grâce au trailer final du film, le film 22, L’Exécutant de Zéro, touchera lui aussi à la trame, à travers l’apparition de Rei (en tant qu’agent de la Police Secrète) et de Kuroda. Sur les cinq derniers films, seul le film 19 n’a rien à voir avec la trame – on peut donc voir, pour le moment, une tendance qui s’installe.

II – Rien n’est canon de base, mais (presque) tout peut être canonisé

Comme vous l’avez lu jusqu’à présent, le chemin que les films ont parcouru a été clair : ils ont, année après année, distillé des éléments aptes à être canons, cultivant l’ambiguïté, le phénomène s’accélérant avec le film 22.
Comme on l’a dit, cependant, les films auront beau tenter d’aborder des thèmes du manga, tant qu’ils ne sont pas reconnus comme tels par Aoyama, ils ne seront pas canons. C’est pour cela qu’on peut dire que même si rien n’est canon de base (hors manga), tout peut être canonisé.

Il y a deux manières pour Aoyama de canoniser quelque chose.
Tout d’abord, il peut purement et simplement l’intégrer dans le manga. C’est le cas d’énormément d’éléments non-canons, qui sont venus soit de l’animé (ex : Wataru Takagi), soit des films (ex : la promotion de Yamamura, le personnage de Kazami plus récemment, etc.).
C’est la méthode la plus utilisée, qui a permis au manga de faire apparaître des personnages tels que Sanada, Chiba, Shiratori, la secrétaire d’Eri, ainsi que la modification des lunettes que Conan a acquise dans le film 5.



Même des gadgets de Conan, comme les lunettes du film 5, ont été canonisés

Il y a une manière moins conventionnelle d’acter la canonisation de quelque chose de non-canon : la confirmation dans une interview.
C’est par exemple le cas pour l’incapacité à cuisiner d’Eri Kisaki et le fait que Kogorô sache très bien viser. Ces deux éléments, introduits dans le film 2, ont été canonisés par Aoyama dans la section Questions/Réponses du Super Digest Book 40+.
Seulement, certains répondront que, malgré l’avis positif du maître sur le sujet, seul ce qui apparaît dans le manga est canon, et qu’ainsi, ces informations ne sont que provisoirement acceptées dans le canon. C’est là une des difficultés du canons-confirmé-par-une-interview.

Autrement dit, tout ce qui est non-canon peut être, un jour, confirmé comme canon. Peut-être que, à la fin de la série, Aoyama décrètera tous les fillers de la série canon—à part ceux qui, s’il y en a, contredisent l’histoire.

Car une imbrication totale entre le canon et le non-canon est, comme vous pouvez vous le douter, impossible. Eléments qui ne coïncident pas, dates qui tordent la continuité, personnages qui ne devraient pas se connaître, tout l’univers Détective Conan qui orbite autour de son cœur nucléaire, le noyau, n’est pas unifié.
Prenons par exemple le chapitre d’introduction de Rumi Wakasa (files 966 – 968, épisodes 889 – 890). Dans ce chapitre, Conan trouve un code qu’il pense être un bâton de Plutarque, à savoir un code que l’on doit enrouler autour d’un cylindre pour découvrir sa véritable signification. Il apprend alors aux Detective Boys l’origine de cette technique de code. Or, les plus attentifs auront remarqué une contradiction avec l’OAV 7, où Agasa utilise ce même code. Donc, même ce qui n’est pas canon mais qui pourrait l’être un jour, n’est pas forcément canonisable du fait des contradictions potentielles avec le manga. Et ne parlons pas de la série de dramas où Shinichi et Heiji se rencontrent.

L’ambiguité de la question du canon vient des propos contradictoires qui ont été tenus à son sujet : si Aoyama a plusieurs fois itéré que « les films sont les films, le manga est le manga » (interview à Singapour), formulation on ne peut plus claire, il a aussi canonisé certains éléments des films, voire les a intégrés au manga. C’est donc sur des sables mouvants que le canon de la série progresse.

C’est bien parce qu’Aoyama ne sait pas où il va, et qu’il écrit l’histoire au fur et à mesure de la série, qu’il ne peut pas se permettre d’accepter comme canon immédiatement après leur sortie la plupart des films, épisodes, OAV, etc.. Mais si tout ne peut pas être canonisé, les cinq dernières années montrent une tendance vers une imbrication plus profonde du canon et du non-canon.

III – Vers une imbrication plus profonde du canon et du non-canon

Un grand mouvement se dessine depuis le film 18, c’est celui d’un rapprochement entre le canon et le non-canon. L’apogée de tout cela a été le film 21 qui, comme on l’a dit précédemment, a connu des répercussions dans le manga. Mais le mouvement ne faiblit pas : même s’il n’est pas assuré que le film 22 connaisse le même sort, à savoir d’être reconnu par le manga, il traite d’éléments qui ont fort à voir avec la trame. Et on ne peut que remarquer que le seul endroit où l’on a entendu la voix de Rum, pour le moment, est bien le film 20.

Le fait que quatre des cinq premiers films soient dans cette mouvance n’est pas anodin, et cela pourrait bien continuer. Le film 21 est allé au plus loin qu’on soit jamais allé ; si le film 22 est reconnu dans le manga comme Aoyama l’a fait pour le film 21, ce sera un nouveau pas vers une imbrication du canon et du non-canon-devenu-potentiellement-canon.



A quel point les films pourraient-il devenir canon ?
C’est une question à laquelle il est bien difficile de répondre. Il est possible que ce rapprochement des films avec le canon, et avec la série en général, ait été voulue par les éditeurs pour fidéliser les spectateurs des films au manga. Il est possible que les éditeurs voient en des films plus à même de créer une symétrie avec la trame une façon de se rapprocher de l’œuvre originale, d’avoir des scénarios plus intéressants, et surtout, ne pas lasser l’audience.

Cependant, selon les dires du maître himself, le film 23 ne traitera non pas d’un homme en noir ou de la trame principale, mais de Makoto Kyôgoku. Il nous faudra donc voir ce que ce film proposera. Si cette tendance se confirme, alors au moins un des deux prochains films devrait avoir des éléments canons, des éléments tramesques (ou semi-tramesques), ou peut-être même être reconnu dans le manga.


Peut-on dire que les films Détective Conan sont canons ? Non. Ils ne le sont pas, et tous ne le seront probablement jamais dans leur intégralité. Peut-on dire que certains éléments peuvent être canonisés ? Oui. Peut-on dire que le mouvement de canonisation des films est en train de se produire ? Oui aussi, mais cela reste à confirmer par le futur.
La question du canon dans Conan a toujours été prédominante. Il est triste de se dire que des films absolument mythiques de la série, qui en sont tout aussi constitutifs que certains des meilleurs épisodes de DC, tels que les films 1 à 5, ne seront jamais reconnus comme canons. Mais, tant qu’ils ne contredisent pas le manga, ils peuvent être placés dans sa chronologie, dans l’attente d’être, peut-être, un jour, canonisé.