Article 85 : La censure dans Détective Conan

Bonjour à tous et à toutes, Conan-patriotes !
Nous commençons dès à présent un nouveau système de contribution des fans au site du Kudo Project : si vous avez envie que nous écrivions un article sur un sujet en particulier, dites-nous le sujet que vous voulez que l’on traite en commentaires ! Nous en choisirons un et le traiterons pour les semaines qui suivent.

Le sujet que nous traiterons aujourd'hui est la censure dans le manga et l'animé Détective Conan.
Si vous êtes un fan de longue date, vous avez forcément vu les premiers épisodes mythiques de la série, ainsi que quelques épisodes plus récents. Pour le spectateur attentif, quelque chose saute aux yeux : plus l'on a progressé dans les chapitres et dans les épisodes, moins il y a eu de gore et de sang. Si aujourd'hui il y a encore du sang dans le manga, celui-ci tend à disparaître dans l'animé. On traitera donc aujourd’hui de la censure et de l’amenuisement de la violence dans Détective Conan.

La violence visuelle : le sang

En effet, alors que les premiers épisodes (et tomes) de Détective Conan avaient tendance à être assez gores, les épisodes les plus récents de la série ont fait disparaître toute violence visuelle en lien avec le sang.
La plupart de ceux qui ont lu le premier tome de la série se souviennent de cette case légendaire de la toute première affaire (le meurtre sur le grand huit), où un homme était décapité par un fil de pêche conjugué à la vitesse du grand huit. Aoyama ne s’était pas fait prier, et avait dessiné une fontaine de sang explosive, qui recouvrait tous les personnages alentours.
Tels des personnages de Quentin Tarantino, Aoyama, dans les premières affaires, n’y allait pas mollo sur le sang. Dès que quelqu’un mourrait, on pouvait s’attendre à des mares de sang, et que les personnages en soient couverts. L'exemple le plus extrême est le tout premier chapitre, bien que les affaires suivantes ont immédiatement eu moins de sang.

Or, beaucoup d’entre vous ont remarqué, ces dernières années, une baisse drastique de la violence. Le manga dessine de moins en moins de sang – il va parfois jusqu’à disparaître complètement – et il en va de même pour l’animé.
Ainsi, le comité de production de l’animé Détective Conan s’est attiré les foudres des spectateurs lorsque, à partir des années 2015, le sang a commencé à être colorisé en noir dans la série animée.

Pourquoi une telle évolution récente ?
Tout d’abord, nous devons nous remémorer que la censure ne date pas d’hier dans Détective Conan. Dès la création de l’animé, l’équipe de production se donna pour consigne de tenter d’infantiliser la série, ou si l’on préfère, la rendre plus « family-friendly » (à regardable en famille), comprenez par là : qu’il n’y ait rien de choquant.



Une première censure s'opère lors du passage du manga à l'animé. Cependant, à part lors de cas extrêmes comme ci-dessus, l'animé ne censurait pas le manga au début. De nos jours, l'animé s'auto-censure, et censure le manga qui subit déjà l'autocensure de l'auteur et des éditeurs

C’est ainsi que non seulement la scène sur le grand huit a été très lourdement censurée comme on peut le voir sur l’image ci-dessus, mais en plus, les personnages des Detective Boys ont été rajoutés bien plus tôt dans la série pour que Détective Conan ne fasse pas peur aux enfants, et que les parents nippons ne craignent pas de voir leurs enfants regarder la série. C’était donc une sorte de censure indirecte, ou plutôt un amenuisement de la violence, que la présence bon-enfant des Detective Boys provoquait.

On ne peut cependant que remarquer que, malgré quelques cas extrêmes qui se sont rarement produits comme cette scène de l’épisode 1, l’animé était bien plus sanglant dans ses deux cent premiers épisodes qu’aujourd’hui. Si l’on compare les vingt premières affaires avec les vingt dernières au jour où nous écrivons cet article, la différence est flagrante.
Ceci est dû principalement à l’évolution des sensibilités des japonais. Alors que dans les années 1990, les prods des séries étaient libres de montrer du sang sans que cela ne choque personne (le gore, le sanglant et la sexualité faisant partie intégrante de la culture des mangas japonais depuis fort longtemps), le Japon est devenu de moins en moins tolérant avec les années et avec les séries considérées comme des icônes nationales. La colorisation du sang en noir est l’aboutissement (provisoire, on peut encore aller plus loin!) de cette sensibilité accrue à la violence.

Avouons que nous sommes drôlement rassurés que le sang de ces gens soit noir.

La sensibilité à la violence et au sang a mis du temps à débarquer sur l’archipel nippon. Les cas de la France, des Etats-Unis et de l’Italie sont édifiants de ce point de vue : si une scène était (ou est, dans le cas de l’Italie, qui diffuse encore Détective Conan jusqu’aux épisodes 800) trop sanglante, elle était purement et simplement coupée. Par un jeu de montage vidéo, l’équipe vidéo américaine ou français comblait la scène censurée par une image fixe durant autant de temps que le plan censuré, afin de combler le vide. Quand c’était bien fait, cela permettait de cacher la terrible image qui aurait choqué toute une génération, comme un corps avec quatre gouttes de sang. Dans la version italienne, 

Il faut aussi remarquer que la baisse dans la violence de la série est aussi due à la popularité de Détective Conan. Alors qu’au début, le manga n’était qu’un shônen/manga policier parmi tant d’autres, la série a acquis, au fur et à mesure des années, le statut de série culte, voire de série « icône » représentant le Japon. Or, une série qui devient un symbole d’une nation ne peut pas se permettre de mettre des morts sanglantes partout. La télévision japonaise accepte qu’il y ait des morts ; c’est le fond de commerce de la série. Mais elle n’accepte pas qu’il y ait trop de violence, car qui s’attendrait à voir un cadavre avec du sang coulant à flot dans un épisode de Tintin ou des Schtroumpfs en France ?

Comment dessiner les morts ?

Le dilemme de l’illustration des cadavres a pris un nouveau tournant ces dernières années dans l’animé.
Si le manga continue de montrer les meurtres (quoique de moins en moins les meurtres en train de se faire – qu’apprendrait-on à la jeunesse ?!), l’animé le fait de moins en moins.
Ceci est possible grâce à un storyboard bien réfléchi, qui montre la volonté explicite de l’équipe de production de l’animé de faire baisser le taux de violence de la série.

Ainsi, de plus en plus d’épisodes utilisent le storyboard intelligemment pour ne pas montrer le meurtre en train de se faire, grâce à des plans qui montre le coupable de dos uniquement, ou seulement les ombres ; ou alors, la caméra ne montre qu’une partie des personnages, et l’autre partie montre le décor, de sorte à ce que l’on puisse imaginer que le meurtre est en train d’avoir lieu, sans le voir.
Cependant, si les fillers ont recours à ce stratagème, c’est plus dur à mettre en œuvre pour les épisodes tirés du manga : après tout, si le maître a dessiné le meurtre  de telle manière, c’est qu’il devait avoir une raison.
Ainsi,  d’autres stratagèmes ont été mis en place par l’équipe de l’animé.

Le premier cas est celui des pendaisons. Alors que dans les premières années de l’épisode, on pouvait voir un cadavre pendu sans trop de problème, c’est quelque chose qui passe de moins en moins à la télévision japonaise. Prenons l’exemple de l’épisode 792, Les Trois premiers à l’avoir découvert : l’équipe de l’animé a bien été obligée de dessiner le cadavre pendu, mais, subtilement, l’a dessiné soit de dos pour qu’on n’ait pas à voir le visage, soit, lorsque le cadavre est de face, un mystérieux éclairage fait de l’ombre au visage du cadavre. Rien de tel dans la version manga. Et pourtant, les affaires de pendaison ont des précédents dans la série : dans l’épisode 89 (L’Affaire de meurtre dans la Villa des Dracula), le cadavre de la victime était bien montré, en long et en large, accroché contre un mur, sanglant. La version française l’avait bien sûr censuré.

Les épisodes récents sont bien plus prudents sur le dessin des cadavres et leur position.


Le deuxième cas est celui du re-montage grossier. Dans sa version localisée italienne, l’équipe de localisation a été très précautionneuse, jusqu’à arriver au ridicule. La scène où Kir, dans la voiture de Gin, est menacée par celui-ci avec un revolver, a par exemple été censurée. Mais alors que dans l’exemple précédent, il était possible de truquer en mettant une image inerte pendant quelques secondes, c’était dans ce cas impossible. L’équipe de localisation a donc décidé de mettre un grand bloc noir sur le revolver de Gin afin de diminuer l’incroyââââble violence que voir un pistolet aurait été. Cela ne fait que rendre la scène ridicule, car ça attire l’attention sur ce que Gin a dans sa main.
Heureusement, ce genre de pratique n’est utilisé que dans les localisations de Conan, et n’existe donc pas sur les versions japonaises.
La localisation italienne prohibe aussi l'utilisation des mots "sang" (c'est trop violent), "cadavre" (disons plutôt "corps" ou "la personne"), et "le meurtre" (privilégions "le fait").


Eh bah oui, si on obscurcit toute la partie gauche de l'écran, on ne voit plus le pistolet que Gin braque sur Kir... et on voit plus Kir non plus, en fait.
(Capture d'écran de la version italienne)

Plus étonnant encore est le cas des épisodes remasterisés de la série. La plupart des épisodes remasterisés datent des quatre premières années de l’animé (1996 – 2000). Or, ces années étaient riches en scènes sanguinolentes et en cadavres bien en vue. Il fut donc décidé par l’équipe de prod de l’animé que les épisodes remasterisés verraient leurs scènes les plus violentes censurées, afin de correspondre à la censure actuellement en vigueur dans les autres épisodes de Détective Conan.
Pour reprendre l'exemple de l'épisode 1, la version remasterisée a totalement coupé la scène montrée dans l'image de l'article avec le sang qui explose du cou de la victime.

La censure de la série n’affecte pas que ce qui touche aux morts et au sang. Comme Conan est devenu une icône nationale, il serait très mal vu que l’animé transmette des mauvais messages à la jeunesse. C’est ainsi que Kogorô a, petit à petit, totalement arrêté de fumer. L’aspect alcoolique de son personnage (rappelons-nous des dizaines de bouteilles de bière sur son bureau dans l’épisode 2, et des détritus au sol dans l’affaire Méfiez-vous des stars du manga) a quasiment totalement disparu : Kogorô est passé d’un personnage qui avait une spécificité, à un personnage « parfait », et donc, selon certains, plus plat. On ne voudrait quand-même pas que Kogorô donne envie de fumer à nos bambins.

Plus le temps est passé, plus les personnages ont dû se "normaliser" pour apparaître 100% clean.

La dernière invention de l’équipe de production de l’animé a été, très récemment, de s’adapter à un détail terriblement choquant et éprouvant pour la jeunesse nippone : les victimes qui meurent les yeux ouverts.
Alors que les cadavres sont parfois dessinés les yeux ouverts par Aoyama pour mettre en relief l’expression de peur qui saisit les victimes avant de connaître leur funeste sort, l’équipe de production de l’animé a décidé que cela était trop choquant, et qu’il fallait faire fermer les paupières aux victimes. Ainsi, dans le dernier épisode en date au moment de l’écriture de cet article, la victime a droit à avoir ses yeux fermés lors de la découverte du corps. Merveilleux.


Sexualité et association des parents japonais

La violence, le gore et les cadavres sont de plus en plus prohibés, et tout ce qui touche à la sexualité l’est aussi. Si Détective Conan n’a jamais trop abordé le sujet, une affaire récente a fait du bruit dans la communauté des fans japonais de la série : l’Auberge du Kamaitachi (épisodes 808 et 809), sortis en 2016.

Dans cette affaire, Bonzo Ôno, le patriarche, propose à la patronne de l’auberge de faire un nyotaimori (= manger des sushis sur le corps d’une femme) pour permettre de rendre l’auberge rentable.
L’animé adapta cette scène comme toutes les autres, bien qu’il censura le corps pour le remplacer par une ombre comme on l’a écrit précédemment.



Seulement, cette scène ayant été considérée comme « dérangeante » par des téléspectateurs, le BPO, à savoir le Broadcasting Ethics & Program Improvement Organization (comprenez par-là, le CSA japonais qui s’occupe de recevoir les plaintes des téléspectateurs), a reçu tellement de plaintes des familles nippones, qu’il a envoyé un avertissement à la chaîne diffusant Détective Conan. C’était le premier avertissement pour la série Détective Conan depuis 2006. Ce genre d’incidence n’encourage donc pas le producteur de la série, Suwa, à montrer du gore, de la violence, du sang et des ombres de corps.

Nous n’avons malheureusement que peu de traces de la plainte de 2006, et encore moins des plaintes qui ont peut-être été adressées avant 2006. L’avant-dernière plainte (2006) avait été envoyée par les parents japonais au BPO, qui se plaignaient qu’il y avait « trop de meurtres et à chaque fois un nouveau coupable dans Conan ». En effet, c'est le concept de la série.

Comme la sexualité n’a jamais été un thème abordé par la série, car elle s’est toujours destinée à un public familial, Détective Conan n’est pas touché par cette censure. 
Il ne fait cependant aucun doute que des scènes de Magic Kaito comme celles où Kaito tente de voir la couleur de la culotte d’Aoko seraient censurées. Ainsi, une scène similaire est tombée sous le coup de la censure lors de la diffusion d’un épisode de Dragon Ball Super l’an dernier.


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Cet article est dédié à Yannick, qui a offert au KP sa collection Détective Conan. Un très grand merci à toi, Conan-patriote ! =D