Interview Detective Conan & Kindaichi Case files #1

Journaliste : Pour commencer, expliquez-nous comment l'écriture de votre manga a commencé.

Seimaru Amagi (scénariste de Kindaichi) : A l'époque où nous avons commencé Les Enquêtes de Kindaichi, il n'y avait pas de manga d'énigmes qui utilisait des vrais astuces de meurtre faisables dans la réalité. Lorsque j'ai commencé à travailler en tant que mangaka, il y avait plusieurs genres de mangas que je voulais faire, et les mangas policiers en faisaient partie. Je me suis dit que ça tombait à pic.

Fumiya Sato (le dessinateur de Kindaichi) : Pour ma part, lorsque je suis revenu d'un voyage, il y avait un brainstorming sur Kindaichi à l'étage du département des éditeurs. A cette époque-là, les mangas se vendaient mal, alors je me suis dit ''Qu'est-ce que je vais faire ensuite ?''.

Gosho Aoyama : J'ai le même ressenti. Pour ma part, je me suis dit ''Etant donné que Kindaichi est si apprécié, pourrions-nous faire le même genre de manga pour le Shonen Sunday ?''. Mais au départ, je ne m'y intéressais pas du tout. Je me disais que ce serait trop compliqué à faire.

Sato : Donc vous dessiniez déjà Magic Kaito à cette époque-là, c'est ça ?

Aoyama : Oui. Ce sont des histoires de vols. Et pour les vols, il suffit de créer un vol et quelque chose à voler, donc c'est déjà plus facile à mettre en scène.

Amagi : Les enfants aiment les mystères de nature, et on lisait des romans policiers lorsque l'on était petit. Je me suis dit que pour le manga, que je n'aurais qu'à étaler la sauce.

Aoyama : Mais quand on commence à scénariser le manga, on comprend pourquoi personne ne fait ce genre de manga. Il y a beaucoup de dialogues, et c'est très compliqué à faire.

Sato : Au début de Kindaichi, je pensais que ça n'allait durer qu'une année.

Aoyama : Et moi de même, je pensais que ça ne durerait que trois mois, étant donné que c'est compliqué de continuer à faire ce genre de manga, au niveau du contenu.

Sato : Et après, on doit le faire semaine après semaine, donc ça devient vraiment déraisonnable.

Aoyama : Mais Kindaichi a tout de même servi de manga de référence pour Conan. J'ai presque copié l'idée du coupable complètement noir.

Tout le monde : (rires)

Amagi : C'est Sato-sensei qui a eu l'idée. Dans le scénario original, j'avais juste écrit ''fais en sorte que l'on ne puisse pas identifier la personne''.

Sato : Ils sont juste noirs, c'est tout.

Aoyama : Et on ne peut pas savoir qui est le coupable, donc ça le rend effrayant.

Amagi : Et il y a une certaine façon de dessiner les coupables en noir, n'est-ce pas ? La même forme de corps pour les femmes que pour les hommes, déjà. Ensuite, lorsque l'on découvre qui est le coupable, son corps est dévoilé pour de bon.

Aoyama : Dans les livres, on n'a qu'à expliquer dans le texte les preuves, l'identité du coupable, etc.. Mais dans un manga, il faut habilement dessiner chaque indice quelque part dans les cases pour créer l'astuce du meurtre.

Amagi : Les mangas policiers sont comme des romans en quelque sorte, mais les mangas policiers rajoutent une dimension autre. Quand j'ai compris ça, j'ai réalisé que le manga pourrait continuer encore longtemps. Et jusqu'à ce que l'on arrête, je continuerai d'embêter Sato-sensei.


Journaliste : Testez-vous vos astuces de meurtre ?

Aoyama : Pour l'astuce de meurtre où le coupable vérouille la porte de l'extérieur avec du scotch, j'ai fait l'expérience avec mon éditeur. Mais pour les astuces de meurtre en huit-clos, je dois d'abord montrer la pièce en entier, avant que le meurtre ne se passe. C'est assez compliqué.

Journaliste : Pour le dessin, ça doit être compliqué de dessiner les personnages proches les uns des autres, non ?

Aoyama : Beaucoup de personnages de Kindaichi apparaissent en même temps. Les dessiner tous ensemble a l'air d'être compliqué.

Sato : Je ne fais plus l'effort de les dessiner séparés (rires). Quand je dessine, je me dis ''Je vais faire apparaître ce personnage de la même façon que j'ai fait apparaître la vieille dame la dernière fois, et ce sera bon''.

Journaliste : Sinon, pour les noms des personnages ?

Aoyama : Personnellement, je les choisis en fonction du sujet du travail. Par exemple, si l'histoire est à propos du ciel et de paysages, je donne des noms qui font référence à des oiseaux. Je reçois souvent des lettres de lecteurs du genre ''Dans ce chapitre, son nom était basé sur le [nom d'oiseau], n'est-ce pas ?''. Mais je fais ça juste pour être content de moi.

Sato : Nous n'utilisons pas de noms réalistes, n'est-ce pas ?

Amagi : Nous essayons de ne pas répéter d'anciens noms. Les personnages qui ne sont pas récurrents apparaissent trois chapitres, au pire quinze chapitres, donc on fait en sorte que leur nom reflète leur personnalité. Un nom qui dit tout pour un personnage qui est en rapport avec son nom.

Aoyama : Je vois.

Sato : Nous pouvons appeler des héroïnes distantes et froides avec des kanjis qui contiennent le signe de l'hiver par exemple, ou un signe qui signifie quelque chose de froid.

Aoyama : Les personnages ont des très bons noms dans Kindaichi, certains noms font même peur. Les prénoms et noms des personnages sont vraiment importants, n'est-ce pas ?

Sato : On peut influencer l'atmosphère de l'histoire à travers les signes dans les noms des personnages.

Journaliste : Et Conan, et Kindaichi, se passent dans des lieux très variés. Partez-vous en repérage pour vous inspirer ?

Aoyama : Je suis effectivement allé sur le train-couchette Hokutosei avant de dessiner l'affaire en question. J'ai pris des photos, mais je n'ai pas pu faire le voyage en entier.

Sato : J'ai déjà dessiné des trains pour le manga, mais je ne suis jamais allé les voir...

Aoyama : Mais voyager avec l'éditeur est fatiguant, n'est-ce pas ?

Sato : Ca arrive !

Amagi : Qu'est-ce que nous faisions sur Kindaichi à cette époque ?

Sato : C'était l'équipe éditoriale qui était allée prendre des photos. Nous ne sommes jamais allés à Hokkaido ! Kindaichi y est allé pas mal de fois, même s'il est juste un lycéen.

Aoyama : (rires)

Journaliste : Des endroits neigeux apparaissent souvent dans Kindaichi. Quelle est la raison derrière ça ?

Sato : Il est plus facile d'isoler les gens en hiver.

Aoyama : Il y avait une astuce de meurtre qui était de faire apparaître des empreintes de pas grâce à du sel, n'est-ce pas ? J'avais vraiment aimé ça.

Amagi : C'était simple à comprendre, et magnifique en même temps, non? J'avais aimé la réplique ''Sakura, maintenant !''. C'était vraiment amusant de scénariser à cette époque.

Aoyama : A cette époque ? (rires)

Sato : Nous avons essayé de changer nos scénarios après ça, étant donné qu'on avait fait des choses similaires pendant longtemps.

Journaliste : Visitez-vous des lieux pour les dessiner ensuite, à cette époque ?

Sato : Non, pas du tout !

Aoyama : (rires)

Journaliste : Selon vous, qu'est-ce qui rend les mangas policiers intéressants ?

Amagi : Le plus intéressant est sûrement la résolution de mystères. C'est devenu quelque chose ssez propre au manga maintenant, n'est-ce pas ?

Sato : Au final, s'il y a un mystère, il faut qu'il y ait quelqu'un pour le résoudre.

Aoyama : La comédie romantique est un élément pilier de Kindaichi et Conan.

Journaliste : Des personnages comme des lycéennes héroïnes et des femmes sexy apparaissent souvent, non ?

Amagi : Ah ça oui.

Aoyama : Peu de femmes sexy dans Conan, mais des belles femmes peuvent se baigner nues dans les bains de Kindaichi.

Sato : C'est parce que le manga est publié au Shonen Magazine ! (rires)

Amagi : Oui, les scènes de douche et de bain...

Aoyama : Le département éditorial me censurerait, au Shonen Sunday.

Sato : Le Shonen Sunday n'a pas changé depuis le temps, hein ?

Amagi : Les mangas policiers sont compliqués à suivre. Donc nous insérions des culottes dans les cases pour que les lecteurs continuent de lire, étant donné que réduire le nombre de lecteurs n'est pas l'objectif.

Sato : Ce genre de choses sont vraiment très populaires, j'ai l'impression. Certains lecteurs commencent à lire un manga juste parce qu'une femme mignonne apparaît sur la couverture.

Aoyama : Pour ma part, j'ai commencé à dessiner Conan dans l'idée que le manga soit une comédie romantique. Le héros qui redevient un enfant et interagit avec la personne qu'il aime est vraiment un élément de comédie romantique. Je me suis dit que pouvoir voir un petit garçon et la fille que le petit garçon grandit aime serait intéressant.

Amagi : Ca a effectivement l'air intéressant, même si ce n'était pas un manga policier.

Aoyama : Oui, ce serait bien, même sans tous les mystères.

Amagi : Le petit garçon pourrait regarder sous la jupe de la fille très rapidement !

Sato: Ce ne serait accepté qu'au Shonen Magazine !

Amagi : C'est vrai. (rires)

Journaliste : Alors, qu'est-ce qui est compliqué à faire dans un manga policier ?

Amagi : Le mobile du meurtre est très important, mais il varie assez peu souvent en réalité, non ?

Aoyama : On y met tout notre cœur, mais on finit par ne plus avoir d'idées pour des mobiles intéressants. (rires)

Amagi : Etant donné qu'il y a beaucoup de types de lecteurs différents, on doit dramatiser chaque meurtre pour exciter les lecteurs, ils ne seraient pas contents sinon.

Sato : Le mobile pour les meurtres a changé récemment aussi. Avant, c'était ''Il a assassiné mon amant...'', mais de nos jours, c'est ''En fait, je ne l'ai jamais aimé !''. C'est devenu plus tordu.

Aoyama : C'est vrai, il faut toujours un retournement de situation.

Amagi : On nous disait que nous faisions du déjà-vu à chaque fois que le meurtre était commis pas vengeance.

Aoyama : Il m'arrive de me dire ''J'ai déjà fait ça, non ?'', quand je dessine.

Amagi : Oui, oui. Je n'ai plus eu d'idées pour des mobiles un ou deux ans après le début de la série, et c'est compliqué à faire depuis ce jour.

Journaliste : Il y a aussi des phrases fétiches dans vos mangas, n'est-ce pas ?

Amagi : Elles rythment l'histoire. C'est avec le ''Au nom de grand-père !'' (note : la catchphrase de Kindaichi) que j'ai l'impression d'avoir fini un chapitre.

Aoyama : Conan dit parfois ''Conan Edogawa... détective.'', mais c'est tout. Peut-être que je devrais aussi lui faire dire ''Au nom de ___'' un jour ?

Tout le monde : (rires)

Amagi : Oui, faisons un échange !

Aoyama : Vous allez lui faire dire ''Hajime Kindaichi... détective.'' ?

Amagi : J'aime bien ça !

Sato : Mais il est un lycéen.

Amagi : Certains disent quand-même, ''Il n'est pas 'officiellement'' détective, non ?

Journaliste : Et grâce à vos mangas, les mangas avec beaucoup de texte sont devenus plus courants, n'est-ce pas ?

Aoyama : Peut-être.

Amagi : C'est devenu quelque chose d'accepté parce que ces mangas ont bien marché.

Sato : Les lecteurs de nos jours comprennent mieux qu'avant.

Amagi : Par exemple, avant, mettre autant de texte dans un manga, manga qui pouvait être adapté en long-métrage, était impossible. Lorsque l'on se présentait au concours du New Talent Award, on nous disait de réduire le texte au tiers.

Aoyama : Mais les lecteurs ont fini par aimer ça.

Sato : De même pour les jeux-vidéos. Les joueurs se sont habitués à avoir plus de texte, n'est-ce pas ?

Aoyama : Mais le manga qui a démocratisé ce genre était Kindaichi, hein ?

Journaliste : Est-ce que vous vous interdisez de faire certaines choses dans le manga ?

Aoyama : Des meurtres sans mobiles, juste aléatoires. J'inclus toujours un mobile pour les meurtres, même s'il a l'air aléatoire en apparence.

Sato : Le manga serait différent si on introduisait un tueur psychopathe sans mobile, oui.


Amagi : Des meurtres sans mobiles montrerait un certain manque d'imagination, et il y a la peur d'intéresser les gens qui ont des penchants cruels.

Aoyama : C'est vrai, ce serait problématique si certains lecteurs sympathisaient avec le coupable, et essayaient de tuer à leur tour.

Journaliset : Kindaichi fait des affaires plus longues que Conan, non ?

Amagi : Entre 14 et 15 chapitres pour nous.

Aoyama : C'est incroyable. Dans Conan, une affaire tient trois chapitres, six au maximum. D'abord, quelqu'un meurt, puis l'enquête se déroule, et finalement, l'affaire est résolue. C'est un modèle qui ne change pas. Pour le moment, je ne peux pas faire plus que ça. Vous vous débrouillez très bien, tous les deux.

Sato : C'est parce que Amagi-sensei s'occupe aussi du scénario.

Amagi : Mais parfois, on commence le dessin avant même d'avoir fini le scénario.

Aoyama : Vous êtes toujours d'accord ?

Sato : Pas toujours.

Amagi : Par exemple, parfois, même si on dessine un mariage, il manque le groom. Mais il y a le contraire total aussi. Une fois, j'ai dis que je mettrais un élément dans le premier manuscrit plus tard, du type ''il faut qu'elle ait un sac sur sa tête'', et elle finit par avoir vraiment un sac sur sa tête dans la première version du crayonné du chapitre.

Aoyama : Sato-sensei ne veut pas changer les vieilles recettes ?

Sato : Comme vous pouvez vous en douter, je ne peux pas changer l'astuce du meurtre, mais je peux changer les scènes romantiques ou émotionnelles.

Amagi : Je te laisse parfois faire certains aspects des personnages, donc tu as une certaine liberté sur ça, n'est-ce pas ?

Aoyama : Etant donné que je scénarise et dessine tout moi-même, je modifie parfois certaines choses avec mon éditeur. Mais ça doit être plus compliqué, avec le travail en équipe.

Amagi : Ca ne pose pas trop de soucis.

Sato : Mais parfois, je rajoute un élément comique sorti de nulle part. Ca a changé la dynamique des chapitres pas mal de fois.

Journaliste : Pour conclure, avez-vous quelque chose à dire ?

Amagi : Puis-je commencer ? Aoyama-sensei, continuez Conan jusqu'à votre mort, s'il vous plaît !

Aoyama : Mais j'ai l'impression de mourir de fatigue en ce moment ! (rires)

Amagi : Si Aoyama-sensei y arrive, nous pouvons aussi travailler dur.

Sato : Oui, oui. Dans le monde du manga, si on n'a pas de concurrent, le travail devient inutile.

Aoyama : Oui, c'est aussi un facteur de motivation.

Amagi : Nos communautés de fans sont un peu différentes, donc nous pouvons aussi partager le genre du manga policier.


Aoyama : Nous ne sommes pas les Giants et les Hanshin*, mais travaillons tout de même en tant que rivaux.
*: Deux grands équipes de base-ball.